Pièce de théâtre aux champs
Personnages :
P : Le/a Paysan/ne (en agriculture biologique)
A : L’Agriculteur/trice OGM
M : Le/a technicien/ne d’une transnationale de semences et de biogénétique (Méphisto)
Z : Le plant de maïs bio, semence traditionnelle (riant, heureux, cool, parabole de l’altermondialisme voire de la décroissance)
H : Le plant de maïs Hybride LAGT 24-53 (en situation de concurrence avec T019H2, sur la défensive, mais aussi admirateur, sûr de sa place et pourtant menacé, un peu con, parabole de la consommation effrénée sans souci de l’environnement, défenseur de la gloire nationale)
T ou T019H2 alias T19 : Le plant de maïs Transgénique, résistant à l’herbicide et thérapeutique (en situation de concurrence avec l’hybride, sûr de lui, gagnant, seule faille : il est à l’essai et il ne doit pas décevoir, agressif, parabole de la pointe de la recherche scientifique et de la recherche du profit, de la globalisation)
G : Le Garde-mobile armé jusqu’aux dents
F : Un Faucheur volontaire d’OGM
Des animaux (abeille, oiseau, mulot, renard, que sais-je encore ...)
Plan :
Scène 1 : semence biologique
Scène 2 : semence OGM
Scène 3 : trilogue de la dissémination
Scène 4 : l’entretien
Scène 5 : trilogue de la contamination
Scène 6 : les animaux
Scène 7 : trilogue du stress hydrique et de la faim dans le monde
Scène 8 : la contamination
Scène 9 : trilogue du patrimoine génétique
Scène 10 : constat 1
Scène 11 : trilogue thérapeutique
Scène 12 : constat 2
Scène 13 : le brevetage du vivant
Scène 14 : le fauchage du faucheur
Scène 15 : trilogue de l’injustice
une paysanne bio entre
en scène ; elle fait déplacer le public pour créer l’espace
de la scène :
- P : bonjour, excusez-moi, vous empiétez un peu sur
mon champ et sur celui de mon voisin, laissez-moi vous placer, voilà.
Vous voyez, j’ai préparé le sol, je l’ai enrichi avec
le fumier de mes vaches, elles ne bouffent que de l’herbe, et ça
rumine ! (elle explique le travail de préparation bio du sol)
et je vais semer du maïs bio, mes propres semences (autres explications
sur le maïs bio).
elle a un sac de semences et elle sème son maïs, et sort
entrent l’agricultrice
OGM et le technicien ; ils ignorent le public et ne regardent jamais le sol
- M : donc, vous semez deux hectares de T19,
autour desquels vous respectez bien les quatre rangs de maïs hybride
- A : d’accord, mais on n’a pas encore l’autorisation
officielle
- M : ne vous inquiétez pas, vous savez c’est
la bureaucratie, ils sont toujours en retard ; on a eu l’assurance du
ministère que l’essai serait autorisé ; pas de souci, le
beau-frère du ministre est au conseil d’administration de l’entreprise.
- A : Le maire est au courant ?
- M : pas encore, mais ne vous inquiétez pas, nous le
préviendrons en temps utiles, quand les autres démarches administratives
seront terminées
- A : faîtes attention, parce que le maire, il n’a
pas l’air très favorable aux OGM, il pourrait prendre un arrêté
municipal contre l’essai
- M : vous savez bien que cela n’a aucune valeur ; le
préfet annulera l’arrêté
- A : et, pas de risque de contaminer le voisin ? il est un
peu écolo ...
- M : (surpris par cette information) ah ... non,
non aucun risque, nous avons pris toutes les précautions contre la dissémination,
et avec les quatre rangs d’hybride, pas de contamination possible
- A (dubitatif) : ouaih. Bon, le contrat ?
- M : voilà, vous signez là ; vous recevrez un
chèque de 10% quand le maïs sera apparu et le reste à la
récolte
- A regarde le contrat : où est la somme totale ?
- M : ici
- A : c’est tout ? !
- M : pardon ? c’est ce qu’on avait convenu par
téléphone
- A : attendez, attendez, par téléphone, vous
ne m’aviez pas dit que l’autorisation officielle n’était
pas prête, que le maire n’était pas au courant ; je prends
des risques, moi ; je me suis renseigné auprès de mon assurance,
ils refusent d’assurer les risques liés aux OGM ; alors, je dois
bien m’assurer autrement ...
- M (le prend de haut) : vous savez, madame, c’est
une chance pour vous d’avoir été sélectionné
par notre compagnie ; on nous a garanti que vous étiez un très
bon agriculteur, productif, rentable, concurrentiel ... et discret. On l’a
cru. Je dois vous dire qu’on a 63 autres candidats pour les essais dans
les communes des environs ; (en apparté) figurez-vous que votre
voisin lui-même est intéressé, si, si, je vous assure ...
surtout ne lui dîtes rien ! A bientôt madame. Je vous laisse toute
notre gamme de désherbants et de pesticides ; avec le désherbant,
attention au maïs hybride, mais vous pouvez arroser le T19,
il est résistant.
A sème successivement le maïs hybride et le
maïs transgénique, et déverse les produits chimiques (le
pesticide sur les deux maïs et sur le public au passage " pas d’panique,
c’est totalement inoffensif ") ; elle sort.
(musiques : genre cool pendant scène 1 et genre techno scène
2 ; reprises au début de la scène 3)
scène 3 : trilogue de la dissémination
trois
épis de maïs poussent : il s’agit de trois acteurs qui se
recroquevillent sur eux en entrant en scène, puis se déplient
et se lèvent doucement (plus ou moins, le bio pousse moins vite ?)
une fois bien installés, ils se découvrent les uns les autres
(ou autre façon de commencer, en fonction des "costumes" -
on peut entendre une voix : "quelques semaines plus tard) :
- T019H2 à H (méprisant)
: t’as vu sa tronche !
- Z (en riant) : qu’est-ce qu’elle a ma
tronche ? Vous êtes qui vous d’abord ?
- T019H2 (fier, au public) : moi je suis T019H2 !
( Z le regarde comme s’il ne comprenait pas, T019H2
le remarque) oui T019H2, le nouveau maïs transgénique, thérapeutique
et résistant aux herbicides, la dernière génération,
le top du biopharming ! (avec mépris) Et lui ...
- H (vexé) le coupe : je suis capable de me
présenter tout seul ! Moi je suis LAGT 24-53, le haut de gamme du maïs
hybride, un croisement entre les meilleurs maïs, qui donne un maïs
parfait, regardez-moi !
- T019H2 : peut-être, mais moi je suis le dernier cri
en matière de recherche scientifique, j’ai été mis
au point dans un grand laboratoire, moi, et je suis thérapeutique, moi
!
- H : et résistant à un herbicide ; mais à quel herbicide
t’es résistant ?
- T019H2 : secret scientifique ...
- H : tout est secret chez lui, on ne connaît rien de sa construction
génétique, faut avoir confiance ...
- Z à H : mais toi, qu’est-ce
que tu fais là ?
- H : moi, je protège les voisins de ses effets néfastes
- Z : quels effets néfastes ?
- H (gestes suggestifs) : il risque de se disséminer
dans l’environnement, et moi je capte son pollen
- T019H2 (sarcastique) : t’y crois vraiment
à ces conneries ? les essais réalisés ailleurs montrent
que le pollen se diffuse quand même, ...
- H (le coupe) : chut, si c’est vrai, faut surtout
pas le répéter ...
- T019H2 (poursuit quand même) : c’est
pas quatre rangs de maïs hybride qui vont faire barrage à ma virilité,
toutes les études scientifiques le prouvent, la dissémination
est large, incontrôlable et irréversible (cette réplique
est susceptible d’être allongée par des exemples frappants
et définitifs)
- Z : alors pourquoi mettre quatre rangs de maïs hybride ?
- T019H2 : pour avoir l’air de prendre toutes les précautions
- H : je serais donc là pour rien, moi ? moi qui rêvait
de pousser dans un grand champ de maïs hybride en Gascogne, avec vue sur
les Pyrénées ! je me retrouve au fin fond de l’Auvergne,
et pour la déco !
- Z : allez pleure pas, tu sais qu’t’es très joli dans l’paysage
?
- T019H2, à Z : mais toi, t’es
qui d’abord ?
- Z : moi ? Je suis Zapata, un maïs biologique, semence traditionnelle
T019H2 et H s’esclaffent
- H : (au public) un maïs des cavernes ! ça
alors, si on m’avait dit que j’allais me retrouver avec le maïs
de mémé ! (à Z) tu sors pas directement
d’un trésor maya non plus ? (à T019H2)
normal qu’il ait cette tronche (regarde les deux successivement, et
au public :) ben ch’uis bien entouré, entre une gueule de
métèque et une tronche d’éprouvette, admirez-moi,
le maïs hybride bien français ! (un temps, à
Z) mais comment tu fais pour être encore
en vie ? si t’es biologique, t’as pas été traité
contre les pyrales, elles t’ont pas encore bouffé ?
- Z : mais non, parce que la paysanne qui m’a semé, elle alterne
les cultures sur ses parcelles ; elle fait des associations de culture et met
de l’engrais vert ; toi si tu crains la pyrale, c’est parce que
ta productrice fait dans la monoculture de maïs irrigué ; ce qui
lui permet de toucher des aides supplémentaires ... d’ailleurs
la voilà !
L’agricultrice
entre, elle passe la brosse à reluire à ses maïs
- A : bon, faut que je les castre
A ces mots H et T ont
un réflexe de protection très humain et se regardent inquiets.
A castre des maïs fictifs, autour de H et
T.
Pendant ce temps, P entre aussi en arrachant les
mauvaises herbes ; les deux ne se regardent pas et se cognent à la limite
de leurs champs. Face à face de surprise.
- A : ’jour
- P : bonjour, comment ça va ?
- A : ’ va, et vous-même ?
- P : très très bien, il fait un temps idéal pour le maïs
! Mon maïs biologique a très bien pris ; regardez comme il est beau,
souriant ; c’est une semence traditionnelle, du Zapata ... résistant
... à la mondialisation ultralibérale. Il est beau, mais qu’est-ce
qu’il bouffe. Enfin, c’est plutôt bon signe, n’est-ce
pas ? Et le vôtre ? il a pas très bonne mine, c’est bizarre,
c’est quoi comme semence ?
- A : hybride ; allez bien l’bonsoir chez vous !
- P : pas causant l’voisin
Ils sortent
Scène 5 : trilogue de la contamination
- H
à T : hé ! il a oublié de te castrer !
- T qui regarde là où il ne faut pas : à
quoi tu vois ça ?
- H : ben, t’as encore tes fleurs mâles sur le
tête (au public) vous, vous avez besoin d’une petite leçon
d’anatomie ! le maïs est une plante bisexuée. On a des fleurs
mâles sur la tête et des fleurs femelles sous les aisselles ...
c’est pas très pratique. (à T) Ça
j’en r’viens pas, il a oublié de te castrer ! (faisant
mine de capter les pollens) Heureusement qu’j’suis là
finalement !
- Z : à quoi tient le risque de dissémination ! bonjour la rigueur
scientifique ! Mais, vous savez qu’il y a des tas d’autres possibilités
de contamination ?
- H : ah bon ? lesquelles ?
- Z : la liste est longue ! par le sol, par les racines, par les abeilles ou
les autres insectes, par la faune sauvage. La nature est ouverte et tous les
êtres vivants sont en relation d’une manière ou d’une
autre, en échanges constants. On ne vit pas sous serre, ni en milieu
confiné. Le risque, c’est de contaminer toute la chaîne alimentaire
...
- T : tout de suite la dramatisation, le catastrophisme ! on
sait bien que les risques sont infimes
- Z : non, c’est faux. On sait très bien aujourd’hui que
les risques sont importants. Mais les médias ne transmettent que la propagande
des firmes qui font les essais et des politiques qui les soutiennent. Et même
si les risques étaient infimes, à partir du moment où ils
existent, pourquoi les prendre ? Le principe de précaution devrait s’imposer
à la culture en plein champ, comme à l’alimentation. Les
risques pour la santé humaine existent aussi.
- T : allons, allons ; il y a des millions de gens qui consomment
des OGM tous les jours !
- Z : mais il n’y a pas d’études épidémiologiques
qui concluent qu’il n’y a aucun risque ; on sait déjà
que les OGM peuvent provoquer des allergies ; on a aussi rencontré des
OGM très nocifs ; parfois les effets nocifs ne sont connus que très
longtemps après. N’y a t’il pas assez de problèmes
sur cette planète pour en créer de nouveaux ? Est-ce que la population
a été consultée démocratiquement pour savoir si
elle accepte les essais d’OGM en plein champs, pour savoir si elle accepte
le risque et ses conséquences, même pour des OGM thérapeutiques
?
Pendant la dernière réplique de Z , un ou des animaux entrent sur scène ; Z s’interrompe quand il les voit ; les trois maïs les observent ; plus particulièrement l’animal qui vient tourner autour de T, en prend un morceau (insecte : pollen, oiseau : grain, mammifère : ?) puis se dirige vers H qui frémit, le dépasse et se dirige vers Z, qui tremble, lui tourne autour, et finalement s’éloigne, au soulagement des trois, et va déposer son morceau de maïs dans le public ... (choisissant un/e spectateur/trice qui a tendance à rire fortement ; on peut imaginer une abeille qui fait cui-cui, un oiseau qui fait bzzz...)
Scène 7 : stress hydrique et faim dans le monde
- H : eh ! j’ai
trop soif, de l’eau, de l’eau, ou autre chose à boire, à
boire
- T019H2 : moi aussi, j’ai soif. Il paraît qu’ils
sont en train de mettre au point un maïs résistant au stress hydrique
- H : au stress hybride ?
- T : mais non, hy-dri-que; à la soif si tu préfères
- H : ah oui, c’est tout à fait moi ça, le stress hydrique,
un vrai soiffard, ça doit être psychologique alors !
- T : Avec ce nouvel OGM, on pourra couvrir le désert
de maïs, et ça va permettre de nourrir tous les pauvres de la planète
! La science, c’est formidable !
- Z : si la science devait servir à supprimer la faim dans le monde ça
se saurait ! votre maïs qui peut se passer d’eau, c’est comme
l’Arlésienne ; ça fait 10 ans qu’on en parle, mais
finalement les seuls maïs qui sont au point sont ceux qui fabriquent leur
propre insecticide et ceux qui résistent aux herbicides, ce qui permet
de polluer autant qu’avant, mais dans un autre style.
- T : Mais il faut laisser le temps à la recherche !
Encore quelques années ...
- Z : Tu parles ! Le maïs qui boit moins, il ne sera mis au point que s’il
y a de la demande de la part des pays riches. Vous ne croyez quand même
pas que les firmes semencières vont dépenser de l’argent
pour inventer des plantes que les pauvres ne pourront jamais payer ! ? C’est
comme la faim dans le monde. Aujourd’hui, on produit largement plus d’alimentation
que les hommes en ont besoin. D’ailleurs, 1/6 de la production agricole
est détruite ou gaspillée. Et pourtant, il y a des millions d’hommes
qui crèvent de faim. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas
assez d’argent pour s’acheter de la nourriture. Ce n’est pas
les OGM qui vont le leur donner cet argent ! Les OGM ça ne rapporte qu’aux
actionnaires des entreprises qui les créent.
- H : et qui va leur donner cet argent, alors ?
- Z : la seule solution, c’est un autre partage des richesses.
C’est Gandhi qui disait que la terre a assez de richesses pour satisfaire
les besoins de tous les hommes, mais pas assez pour satisfaire tous leurs désirs
... Une des premières chose à faire, c’est de réorienter
l’agriculture des pays du sud. Aujourd’hui les terres des pays d’Afrique,
d’Amérique latine et d’Asie sont utilisées pour des
cultures de luxe destinées aux habitants des pays riches. Soit les cultures
comme le café, le cacao, la banane, les fruits exotiques, les fleurs.
Soit des cultures pour l’alimentation de notre bétail. La viande
que vous avez dans vos assiettes est nourrie avec du soja transgénique
des pays pauvres. Par contre les habitants de ces pays doivent importer leur
nourriture, comme le blé, des pays riches. C’est la logique de
la mondialisation libérale.
- H : il a peut-être raison
- T019H2 : ne l’écoute pas ! Encore un utopiste-idéaliste-idéologue
qui prétend résoudre tous ces problèmes si difficiles "comme
ça", alors que tous les experts et les scientifiques qui travaillent
dessus depuis de si nombreuses années n’y sont pas arrivés
! Mais, mais (il se passe la main sur la tête)
- T019H2
: ça y est j’ai du pollen ! Les deux autres le regardent inquiets
- Z : eh, tu t’le gardes s’il te plait
- H (se met face à T, en position de gardien de
but, pas très sûr de lui) : je te protège, je te protège
- T019H2 : on va voir ça ! On va voir jusqu’où
ira mon pollen. Comme je suis un super maïs
Il prend des boules jaunes - boules de tissus pleines de poudre jaune -
et les lance autour de lui, dans toutes les directions. Il s’interrompt,
mouille son doigt et le tend :
- T : merde, d’où vient le vent ? de là
! (c’est à dire qu’il souffle vers les deux autres)
- H essaie de rattraper celles qui vont dans sa direction.
- H (s’il arrive à attraper une balle)
: je l’ai eu, je l’ai eu
- Z se prend la boule dans la tronche : pollueur, assassin,
bachibouzouk, pachiderme (et autres insultes du capitaine Haddock ?)
- T019H2 : tiens, il perd son calme le rasta ...
- Z hurle : j’ai été contaminé,
j’ai été contaminé, etc.
- H : moi aussi, j’ai été contaminé,
j’ai été contaminé, etc. Survient le paysan qui
constate la contamination, genre, il goûte la poudre jaune (en
précisant éventuellement au public que dans la vraie vie ça
ne se constate pas tout à fait comme ça) :
- P : Putain ! mon maïs a été contaminé par de l’OGM
Il regarde les deux maïs voisins, qui prennent des airs de faux innocents-coupables
- P : c’est les maïs de mon voisin ! Putain ! ça
va pas se passer comme ça !
Il sort
Scène 9 : trilogue du patrimoine génétique
- Z
reprend : j’ai été contaminé, j’ai été
contaminé,
- T019H2 à Z : dis, le contaminé,
ton patrimoine génétique, à qui il appartient ?
- Z : pardon ?
- T019H2 : je répète : à qui appartient
ton patrimoine génétique ?
- Z : mon patrimoine génétique ?
- T019H2 : il est trop con lui ! oui, ton patrimoine génétique,
tes génes, ton ADN ..
- Z : merci, je sais c’que c’est le patrimoine génétique,
c’est la suite de la question que je comprends pas : à qui il appartient
? à personne, à moi, à l’humanité !
- T019H2 : à personne ? non, mais attend, moi par exemple,
mon patrimoine génétique, il appartient à Méphisto,
la firme qui m’a mis au point ; elle a déposé un brevet
pour protéger sa découverte contre les espions biotechnologiques
japonais
- H : chinois, chinois
- T : chinois si tu veux
- H : t’en as de la chance toi d’être protégé,
en sécurité ! moi, je ne suis plus sous brevet, ça fait
trop longtemps qu’on m’a mis au point ; je suis inscrit au catalogue
sous le numéro 5456468 et tous les semenciers peuvent me vendre. Actuellement
je vaux 3 euros le kilo sur le marché mondial, mais moi je suis français,
c’est Alain Taupin de LimaGT qui m’a mis au point en 1978 ; (à
Z) : c’est quoi ton numéro de catalogue
à toi ?
- Z : mon numéro de catalogue ? mais c’est quoi ce catalogue ?
- H : quel boulet ! mais c’est le catalogue officiel des semences, le
catalogue des semences qui sont autorisées à la vente, alors c’est
quoi ton numéro ?
- Z : ben, je n’ai pas de numéro de catalogue, je m’appelle
Zapata, c’est tout !
- H : quelle horreur, non seulement c’est un maïs des cavernes, un
métèque, mais en plus un clandestin, illégal ! t’es
pas immigré non plus ?
- Z : et pourquoi pas ? ça te pose un problème ? mon grand-père
paternel était espagnol et ma grand-mère maternelle algérienne
; mais je te signale qu’on a tous les mêmes ancêtres, d’Amérique
centrale
- T019H2 et H se regardent : qu’est-ce
qu’il raconte ?
- Z : vous ne connaissez pas l’histoire du maïs ?
- T019H2 : on s’en fout ! c’est pas le sujet
- H : si, si, raconte-nous l’histoire du maïs
Z raconte la légende maya sur la création de
l’humanité ; voilà, et ensuite l’homme a transporté
le maïs avec lui sur les autres continents
- H : c’est beau, cette histoire ! c’est pouétique
- T019H2 : peuf, c’est de la légende pour épater
la galerie, rien de scientifique, moi je suis né dans un laboratoire,
et toi ?
- Z : moi je suis né ici, mes parents poussaient sur la parcelle de l’autre
côté du ruisseau
- H : t’es né ici ? tes parents ? tu connais tes parents ? le paysan
ne t’as pas acheté à un semencier ? il fait ses semences
tout seul ? même pas inscrit au catalogue ! il a pas le droit de faire
ça !
- Z : si, si, il a encore le droit de faire ses propres semences, et il faut
qu’il en profite avant que ce soit interdit ; ce qu’il n’a
pas le droit de faire, c’est de vendre ses semences ; c’est un monopole
des semenciers. Ben voilà, je comprends à quoi sert votre catalogue,
c’est la liste des semences autorisées à la vente par les
semenciers.
- H le regarde un peu jaloux : alors, toi tu peux avoir des
enfants ?
- Z : et oui, c’est pas comme toi, conçu par des superparents soigneusement
sélectionnés, un père étalon, une mère pondeuse
et un enfant stérile.
- T019H2 : c’est ça, profite-z-en bien, métèque
! comme je vais transformer l’essai, je serai autorisé à
être cultivé partout en France, je contaminerai toute cette vermine
et je supplanterai ces minables hybrides, alors Méphisto aura le monopole
de la propriété des maïs et les paysans devront raquer pour
avoir des semences ; profitez, de vos dernières années ...
A
et M apparaissent :
- A : mon voisin est furieux, il prétend que j’ai contaminé
son maïs bio, il veut porter plainte
- M : ah, ah, plainte ? pas de souci, le droit français précise
bien qu’il doit prouver qu’il a pris toutes les précautions
pour se protéger ; il n’a pas dit qu’il allait planter du
maïs bio ici, et nous avons les autorisations légales
- A : elles sont bien légales ces autorisations ?
- M : mais ne vous inquiétez pas ! vous savez bien que le gouvernement
nous soutient
- A : peut-être, mais vous savez aussi que les faucheurs volontaires multiplient
les actions ...
- M : OK, on va prévenir le préfet. Mais vous savez, votre essai,
c’est de l’OGM thérapeutique. C’est facile à
défendre, c’est très populaire. Une petite campagne de com’,
les médias seront avec nous : une petite fille malade, sa maman désespérée,
et le scientifique qui leur apporte l’espoir de la guérison, avec
une star du sport et une du show biz comme parrain et marraine et le tour est
joué. Les faucheurs n’oseront pas toucher à l’essai.
Ils sortent
Scène 11 : trilogue thérapeutique
- H : en fait, ça
veut dire quoi thé-ra-peu-tique ?
- T : ça veut dire " qui guérit ",
médical
- H : tu guéris quoi ?
- T : la mucoviscidose !
- H : la mucoquoi ?
- Z : la mucoviscidose, c’est une maladie génétique
qui provoque des troubles respiratoires graves, voire mortels. Elle entraîne
aussi des troubles digestifs importants. L’absence de lipase gastrique
perturbe la digestion des lipides. Du coup, les malades prennent des médicaments
à base de lipase gastrique de porc.
- T : Et moi, je contiens le gène de la lipase gastrique
du chien, qui sera ensuite synthétisé et transformé en
médicament.
- H : ouaf, ouaf
- Z et T : très drôle !
- Z : en fait, tu ne guérirais pas la mucoviscidose, tu atténuerais
un de ses effets, au même titre que d’autres médicaments
qui existent déjà. Mais pourquoi te cultiver en plein champ, avec
risque de contamination ?
- T : efficacité, productivité, rentabilité
; je soigne à moindre coût
- Z : moindre coût pour qui ?
- T : pour les malades et pour la sécu, pardi
- Z : mais pas pour l’environnement, ni les générations
futures ! avec les risques de contamination, le moindre coût des OGM,
ce n’est que pour les actionnaires actuels des firmes biotechnologiques.
On peut fabriquer des lipases autrement. Sous serre par exemple, mais ça
coûte plus cher. Ou en laboratoire ... J’ai une autre question :
pourquoi avec du maïs ?
- T : parce que le maïs ne se croise pas avec d’autres
plantes, en particulier avec des plantes sauvages, contrairement au colza par
exemple
- Z : Peut-être ; mais c’est une plante alimentaire
! C’est quand même gênant de risquer de contaminer des plants
de maïs destinés à la consommation animale ou humaine
Il
revient avec un faucheur (ou plus)
- P : regarde, mon maïs a été contaminé par le maïs
OGM du voisin !
- F : c’est donc là la parcelle OGM de la commune
de Sainte-Gudule, on ne l’avait pas encore repérée ; le
maire a interdit les essais sur sa commune, il s’est fait passer un savon
par le préfet ! et il n’avait pas réussi à identifier
la parcelle. Apparemment aucune procédure légale n’a été
respectée
- P : tu crois que je peux lui faire un procès ?
- F : tu peux toujours essayer, mais le mieux serait de faucher
- P : faucher ?
- F : oui, faucher la parcelle de ton voisin
- P : on peut pas faire ça !
- F : pourquoi ? il contamine tout le monde avec ses OGM.
- P : mais c’est une destruction de bien privé, c’est sa
propriété, c’est illégal.
- F : tu as entendu parler de la désobéissance
civile ? Quand un Etat met en danger sa population par des décisions
anti-démocratiques, le peuple a l’obligation morale de désobéir
à la loi. Il n’a peut-être pas la légalité
avec lui, mais il en a la légitimité. Ce que fait l’entreprise
Méphisto avec son maïs OGM est dangereux, donc illégal et
illégitime. C’est connu que les Français sont massivement
contre les OGM, pourtant le gouvernement refuse le débat public, et ne
respecte pas les résultats des enquêtes officielles. Il autorise
les essais et il les encourage, et tu sais bien que les gouvernements ne respectent
pas plus les sondages que les résultats d’un référendum
... Détruire les parcelles d’OGM, ce n’est pas notre droit,
c’est notre devoir ; si on attend il n’y aura plus que des OGM partout,
comme en Amérique du nord et du sud, et c’est ton voisin qui te
fera un procès parce que tu utilises ses semences, et qu’elles
sont brevetées
- P : non, quand même !
- F : tu ne connais pas l’histoire de Percy Schmeizer
? Percy Schmeizer, c’est un paysan canadien. Ses champs de colza sans
OGM ont été contaminés par du colza OGM de la firme Monsanto.
Et c’est Monsanto qui a porté plainte pour vol de semences, en
réclamant des dommages et intérêts ! La justice canadienne
a reconnu que le paysan n'avait pas tiré profit du maïs OGM, ce
qui fait qu'il n'a pas eu à payer Monsanto. Mais il a quand même
perdu le procès en appel, et a dû régler les frais de justice
!
- P : c’est dégueulasse !
- F : eh oui ! et avec les négociations en cours à
l’OMC sur les brevets et sur les droits des entreprises, ça sera
partout pareil dans le monde. Partout les entreprises auront le droit de réclamer
des dommages et intérêts aux agriculteurs contaminés, comme
en Amérique du Nord avec les accords de l’ALENA.
- P : putain, on fauche !
- F : on fauche !
Ils sortent
Scène 13 : le brevetage du vivant
- T019H2
(prostré pendant toute la scène) : t’as entendu
hybride, ils veulent venir nous faucher !
- H (l’ignore et s’adresse à
Z) : c’est quoi la lena ? c’est une brebis OGM ?
- Z : quel boulet ! ... l’ALENA, c’est l’accord de libre-échange
du Nord Amérique, un accord entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique
pour supprimer toutes les lois et les règles sur le commerce entre ces
trois pays.
- H : c’est encore une légende maya ?
- Z : ah, ça non, c’est plutôt un cauchemar
- T019H2 : non mais dit, hybride, t’as pas entendu, ils
vont venir nous faucher !
- H : mais pourquoi ils parlaient de l’ALENA ?
- Z : parce que l’accord permet aux entreprises privées
de porter plainte contre les Etats et les particuliers, et comme c’est
un traité international, il est juridiquement supérieur aux lois
des pays. Et dans le cadre de l’OMC, l’organisation mondiale du
commerce, on veut faire la même chose. L’Union Européenne
pousse à des accords sur un droit des entreprises supérieur au
droit des Etats. Et les Etats-Unis poussent à étendre leur droit
de la propriété intellectuelle. Ce droit permet d’établir
des brevets non seulement sur les inventions mais aussi sur les découvertes.
Par exemple si tu inventais l’eau tiède, tu aurais un brevet dessus,
et tous les utilisateurs d’eau tiède dans le monde devraient te
payer des royalties
- H : mais j’ai pas inventé l’eau tiède !
- Z : ni même le fil à couper l’beurre,c’est
sûr ; je termine quand même : les entreprises biotechnologiques
et pharmaceutiques déposent des brevets sur toutes leurs inventions,
mais aussi sur leurs découvertes ; par exemple sur les gènes qu’elles
découvrent, ou sur les vertus thérapeutiques des plantes. Parfois
certains peuples utilisent ces plantes depuis toujours, mais ils ne peuvent
rien prouver face aux multinationales qui déposent les brevets et leur
demande ensuite des royalties ; c’est ce qu’on appelle la bio-piraterie.
Et quand les dix premières firmes mondiales auront brevetées la
plupart des découvertes et toutes les inventions, et qu’elles pourront
contaminer l’ensemble de la planète avec leurs OGM, elles auront
le pouvoir absolu sur l’agriculture et sur le vivant.
- H : un vrai cauchemar !
- T019H2 : eh ! hybride ! ils vont venir nous faucher !
- H : oh, ta gueule, le supermaïs qui a les foies ; de toute façon,
tôt ou tard c’est notre sort, on finit tous dans des tourteaux pour
bovins
- Z : non, pas tous, moi, je vais devenir de la polenta bio
Scène 14 : le fauchage du faucheur
Apparaît
G qui place une barrière métallique
entre les deux champs et se cache entre les deux maïs H
et T019H2, en position de combat.
Des faucheurs entrent de l’autre côté en scandant
- P et F : OGM, non, non, et non
- P : c’est la parcelle
Ils virent la barrière, G sort de sa cache,
leur lance des gaz lacrymo (si on peut en avoir, il faut faire participer le
public), un pétard
- F : attention, des grenades explosives !
Autre pétard
- F tombe : ma jambe !
G se jette sur lui et le frappe violemment à coups
de matraque ; F au sol tend les bras en signe de non-violence
puis essaie de se protéger ; il reste allongé au sol
- P hurle : mais arrêtez, vous êtes malades, on
est non-violent, etc.
G se retourne contre lui et le frappe, le poursuit (parmi
les spectateurs), il revient, enlève son casque, avec un sourire triomphal,
passe les menottes au faucheur à terre, et lui dit, sarcastique
- G : c’est pas bien ça, refus d’obtempérer,
rebellion, insulte à agent dépositaire de l’ordre public
- F : mais c’est pas vrai, je n’ai rien dit
- G : menaces de mort
- F : mais ...
- G se fout un coup de matraque sur la jambe et montre
à F : coups et blessures volontaires
Et il sort F avec brutalité : allez, au poste,
qu’on s’amuse un peu
- T019H2
à Z : alors, le rastacouère ! ton copain faucheur,
après s’être pris une bonne raclée, il s’est
fait aligner par la justice. Heureusement pour lui que c’était
la première fois, il ne s’est pris que 6 mois de sursis, et 15
000 euros d’amende.
- H : et les dommages et intérêts !
- Z : et ça vous amuse, c’est un jugement inique, vous avez été
témoins de la scène comme moi, il n’y a eu ni rebellion,
ni insulte, ni menace, ni coups et blessures de sa part, c’est le garde-mobile
qui a frappé
- T019H2 : il n’avait qu’à porter plainte
contre le garde-mobile
- Z : il l’a fait, et la plainte a été classée sans
suite, c’est dégueulasse ; mais c’est toujours comme ça,
les bavures policières sont classées sans suite alors que les
accusations mensongères de la police entraînent des condamnations
iniques. C’est comme les lycéens, comme les gens de Calais qui
aident les réfugiés, comme les syndicalistes. La justice est aux
ordres du gouvernement. Sous prétexte de sécurité, c’est
répression. Tiens, juste avant de faire ses valises, Perben a signé
une circulaire pour que les faucheurs soient jugés en comparution immédiate.
- H : non mais attend, le garde-mobile était là pour nous protéger
contre les intentions malveillantes de ton arracheur qui était prêt
à tout !
- Z : oui, les forces publiques protègent les intérêts privés
crapuleux, avec l’argent des contribuables ! les seuls intentions des
faucheurs c’est d’empêcher les essais transgéniques
qui menacent de polluer et de contaminer ; (ils les regardent droit dans
les yeux) et s’ils n’ont pas réussi à faucher
hier, ils faucheront demain
Note
finale sur la répartition des rôles :
Les rôles peuvent être regroupés
S’il y a trois acteurs (et une mise en scène qui le permet), les
trois acteurs joueront successivement :
- le paysan, le technicien et l’agriculteur
- les trois maïs
- le paysan, le faucheur, le garde-mobile
- les animaux
il est plus logique que le paysan joue Zapata, le technicien T19
et l’agriculteur H